Jour 24 : Le train-train, ou presque...
Frustré d'avoir vu 'mon' coin prés du magasin de légumes occupé la veille, je pars cette fois directement vers cet emplacement qui a l'avantage de laisser au musicien, s'il est seul, un espace de jeu suffisant pour ne pas se faire marcher dessus. Inconvénient, le patron de la boutique peu mélomane ne tolère la présence d'aucun artiste dans son rayon d'action, qu'il soit accrédité ou non. Par chance il n'est pas souvent sur place et ses employés eux, laissent faire, peu concernés par la question, semblant même apprécier l'animation (enfin ça dépend laquelle car une fois, le vendeur m'a demandé d'arriver avant Vanupié qui lui cassait les oreilles...).
Depuis 10 jours le rideau de fer était baissé, évitant ainsi tout conflit avec le père-fouettard, mais aujourd'hui surprise, alors que je pensais l'équipe en vacances pour 2 semaines, l'étalage est éclairé et expose fièrement ses aubergines lustrées... le patron est-il là...? non... nouvelle surprise, ce sont deux nouveaux qui occupent les lieux et servent les clients. Y aurait-il eu un rachat ?
Pas trop le courage de négocier leur accord ; faisant une concession sur le manque d'espace (particulièrement à l'heure de pointe) je préfère partir d'emblée au fameux "quai de la ligne 1", secteur supposément lucratif, en tous cas d'après mes dernières expériences. D'ailleurs, pour tester pleinement son potentiel, j'y reste cette fois mes trois heures en continu et.... 41€ ! Pas mal, c'est un score que je considère dans la moyenne haute.
Comme toujours à Châtelet, des anecdotes à la pelle, mais ouf, cette fois pas de véritable embrouille. La plus amusante (et la plus originale) était certainement l'histoire de la brésilienne sur-excitée qui devait prendre son train, résumé :
Une jeune noire* archi-maquillée, un peu forte et tirant une valise avec l'air pressée, déboule à coté de moi et m'accoste en pleine chanson "oh, c'est super j'adore, vous êtes brésilien ? Je peux chanter ? vite vite, j'ai un train à 18h30 à Gare de Lyon" (il était 18h10 !); elle commence donc à chanter à mes cotés, faux comme une casserole... jusqu'ici tout allait bien, avec mon micro, je la couvrais largement ;-), mais à la chanson suivante, elle me pique le micro et me demande quelques standards. Comme elle était rigolote, je laisse faire et exécute les demandes, mais ce qui était drôle au départ est rapidement devenu gonflant. Elle commençait les chansons, toujours aussi déton(n)ante (ici les deux orthographes conviennent), et s'arrêtait au bout de 2 phrases faute de paroles... Elle me tendait alors (mal) le micro, puis le reprenait aussitôt pour continuer la phrase que je venais de lui remémorer.
Musicalement c'était tout bonnement insupportable, mais pour les passants le spectacle était digne d'un numéro de cirque, et tout le monde jetait un œil souriant devant sa joie de vivre proche de l'hystérie. Entre chaque chanson (que j'écourtais au maximum, une grille maxi !) elle demandait l'heure aux gens en répétant qu'elle avait son train à prendre, et chaque fois voyant les minutes défiler, je l'encourageais à se dépêcher de partir pour ne pas le rater... en vain ! "Juste une dernière, vite vite il faut que je parte !" criait-elle -"bah oui, faut y aller, vite vite, allez !" répondais-je toujours en vain. Quinze minutes plus tard, elle avait carrément décidé de rester chanter avec moi et de prendre le train suivant... glups... comment je vais m'en débarrasser ?? N'ayant plus l'argument de l'horaire pour l'inciter à déguerpir, j'ai pris sur moi et mon amabilité naturelle, et je lui ai demandé de me laisser jouer seul en lui disant franchement qu'elle ne chantait "pas très juste", et que c'était "difficile de la suivre", et tout et tout.... hum, pas simple... sur le coup elle ne percute pas, c'était comme si elle ne m'avait pas entendu !! (j'aurais peut-être pas dû rester souriant) Elle me demande encore une autre chanson, puis son cerveau semble enfin comprendre mes mots (alors qu'elle parlait parfaitement le français), elle prend subitement un ton raisonnable inédit, et me lance "bon, je crois que j'ai un train à prendre... merci beaucoup, c'était super... au revoir !". Soupir de soulagement... c'était drôle, mais il était temps que ça s'arrête :-|
La scène était comique au point qu'il en existe une vidéo d'une trentaine de secondes, j'espère seulement que le touriste qui immortalisât ce moment culte tiendra sa promesse de me l'envoyer par mail... En attendant, la photo ci-dessus donne une image assez fidèle, avec une tenue plus couverte bien sûr :)
* Peu de pays au monde sont aussi bigarrés que le Brésil, et c'est vrai même à Paris ! J'ai pu le vérifier sur le terrain, les brésiliens que j'y ai rencontré étaient à parts comparables, noirs, métissés (noirs ou latinos) ou blancs. C'est marrant parfois, à force de croiser beaucoup de brésiliens (ils sont les plus nombreux à venir me parler) j'ai un peu l'impression d'y être :-)